Dans le cadre de notre émission Entrevue politique, nous avons échangé avec Monsieur Célestin Topona, vice-président du parti, Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), principale formation politique de l’opposition au temps de Deby père et allié au fils. Nous aborderons avec lui la présidentielle du 06 mai dernier, la démission du 2e vice-président de l’UNDR, la relation Tchad-Russie et l’avenir du parti. Entrevue.
FT: Monsieur Célestin Topona, bonjour. Vous êtes vice-président du parti UNDR de Saleh Kebzabo, et votre parti a soutenu la candidature de Mahamat Déby à l’issue duquel vous avez été désigné directeur de campagne adjoint de la coalition pour un Tchad Uni. Les résultats de l’élection présidentielle dont Deby a été proclamé vainqueur ont été contestés par M. Masra. Est-ce que cette contestation vous a-t-elle surpris ?
CT : Dans toute démocratie, le processus électoral est bien balisé par les textes. En cas de contestation à une élection, on s’adresse à des recours légaux. Pour ce qui nous concerne au Tchad, c’est le conseil constitutionnel qui traite du contentieux électoral. Les candidats battus à l’issue du scrutin du 6 mai dernier ont, à ma connaissance introduit des requêtes qui n’ont pas abouti. Je ne dirai pas que les contestations électorales suite au vote pour élire un président de la république m’ont surpris. Non, dans l’ordre des choses, toute élection est susceptible d’être vue d’un autre œil par les candidats malheureux et c’est la justice qui les départage. Pour moi, la messe a été dite dès le 1er tour et le candidat de la « coalition pour un Tchad Uni» pour lequel mon Parti a fait campagne, a été déclaré vainqueur par le conseil constitutionnel après examen des recours. Quand on se déclare démocrate, on admet le verdict des urnes comme celui de la justice lorsque celle-ci décide en dernier ressort conformément à notre code électoral.
Je vous rappelle que cette loi a été préparée par le gouvernement de Monsieur Masra Succès, son adoption par le conseil National de Transition, le parlement provisoire l’a été avec le vote positif des conseillers issus de son parti. Donc la contestation électorale dont vous faites cas ne concerne pas la loi électorale en tant que telle mais l’affirmation qu’il n’a pas perdu l’élection! Mais il faut étayer ses réclamations par des faits juridiquement pertinents! C’est ce qui manifestement n’a pas été démontré devant les juges constitutionnels. L’UNDR mon parti est satisfait de la victoire de Mahamat Idriss Déby Itno dans ces conditions.
FT: Dans le nouveau gouvernement de Halina, votre parti, en tant que l’une des forces politiques majeures du pays et allié de Déby fils, est moins représenté. Êtes-vous déçu, comme certains qui ont démissionné ou dénoncé cette situation ?
CT: Je comprends les manifestations enregistrées dans les rangs de ses militants et sympathisants quant à la représentation du Parti au 1er gouvernement de la 5ème République. Mais les réalités socio-politiques et économiques du Tchad doivent être prises en compte. La refondation de notre pays telle qu’annoncée sur les fonds baptismaux par le Dialogue National Inclusif et Souverain de 2022 exige que les force politiques tchadiennes se surpassent pour ne voir que l’intérêt supérieur du pays. L’UNDR mon parti se place dans cette optique en disant que c’est la façon dont le gouvernement du Premier Ministre Allah Maye Halina va prendre le taureau par les cornes pour résoudre les gros problèmes qui retardent le Tchad qui compte. Connaissant la personnalité du nouveau Chef du Gouvernement, grand bosseur reconnu professionnellement et jouissant de la confiance du Président de la République, je ne doute pas que les défis du redressement de notre pays seront relevés. C’est pour cela que l’UNDR souhaite que la notion de « partage du gâteau» après la victoire soit supplantée par l’efficacité gouvernementale pour réussir la résilience du Tchad nouveau. Et puis, il n’y a pas que les postes au Gouvernement. Il y’a tout l’appareil administratif central et territorial etc.
Le Tchad est un vaste chantier vierge qui réclame la participation des tchadiens de toutes couches et opinions pour sa reconstruction. Les compétences professionnelles existent bien au sein de l’UNDR et si elles sont sollicitées, elles seront mises à la disposition du gouvernement pour travailler. Voilà comment, je peux consoler celles et ceux qui ont suivi le mot d’ordre de mon parti en votant pour le candidat de la coalition pour un Tchad uni. Les mécontentements dont vous parlez et qui ont même pris une forme beaucoup plus véhémentes quelques part doivent à mon sens, être apaisés et résorbés par le pouvoir.
FT: Parmi les faits marquants récents, il y a quelques semaines, votre 2e vice-président, M. Albouri, a démissionné du parti après plus d’une décennie d’engagement. Dans le nouveau gouvernement, quelques jours plutard, il a été nommé ministre de l’Élevage. L’opinion publique souhaite savoir ce qui s’est réellement passé ?
CT: Il ne s’est rien passé d’autre que ce qui caractérise le fonctionnement normal de toute organisation. Le 2ème Vice-président de l’UNDR a effectivement donné sa démission du parti et quelques jours plus tard, s’est retrouvé au gouvernement. Je n’ai pas de raisons à donner puisque l’adhésion à un parti politique comme en religion, est personnelle. C’est à l’intéressé plutôt de donner les causes de son départ d’un parti où il a effectivement milité pendant 23 ans. Le parti comme d’autres, a connu des défections, mais il a enregistré également de très nombreuses adhésions. La région de l’Est du Tchad continue à voir la présence de l’UNDR. Des témoignages de loyauté nous parviennent de toutes les structures de base. La ville d’Abéché qui abrite le comité provincial a fait parvenir au Bureau Exécutif National son engagement renouvelé aux côtés de l’UNDR pour les luttes politiques futures dans le Ouaddaï géographique.
Je ne pense donc pas que le départ de notre camarade devenu ex va modifier de quelque cran que ce soit, le positionnement dynamique de l’UNDR dans cette partie du pays. D’ailleurs, le Bureau Exécutif va diligenter bientôt une importante mission là-bas pour la poursuite des activités du parti; et pour recueillir les avis des militants sur la stratégie future de l’UNDR pour les échéances électorales futures. Pour votre information; je vous apprends que 6 partis politiques ont été déjà créés par des ex- cadres de l’UNDR; ce qui n’a absolument pas amoindri loin s’en faut, nos capacités politiques sur l’ensemble du territoire tchadien. Nous sommes aussi pourvoyeurs de nouveaux partis politiques ! La lutte politique est ainsi faite qu’il faut s’adapter à tous les contextes qui se présentent. L’essentiel c’est de poursuivre l’idéal pour lequel l’UNDR a été créée en 1992 et de prouver sa résilience face aux problèmes internes et externes qui peuvent arriver ou être provoqués par d’autres forces politiques adverses qui existent bel et bien et nous en sommes parfaitement conscients.
FT: M. Albouri a été un militant important pour l’UNDR, avec une influence notable et un militantisme actif à l’est du pays. Son départ ne va-t-il pas impacter l’UNDR ?
CT: Nous avons des milliers de militants actifs dans tout le pays. Le départ volontaire d’un seul d’entre eux n’impactera pas l’implantation du parti dans une contrée donnée. Il a usé de la liberté de démissionner telle que stipulée par l’article 11 des statuts de l’UNDR qui dit et je cite « la qualité de militant de l’UNDR se perd par le décès; la démission; l’exclusion; l’appartenance à une autre organisation politique >>. Pour le cas d’espèce; c’est une démission libre et nous en prenons acte tout simplement.
FT: Le Tchad se rapproche à grands pas de la Russie, l’ex président de transition, actuel Président de la République a effectué un voyage en début d’année à Moscou où il a reçu le soutien de son homologue russe Vladimir Poutine, en retour, le ministre des affaires de prépare pour venir au Tchad pour les nouvelles autorités. L’opinion publique estime que Mahamat Idriss Deby veut tourner le dos à la france au détriment de la Russie, comme les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). M. Topona, entant que vice président de l’UNDR, quelle analyse faites-vous de ce rapprochement ?
CT: Je suis aussi Conseiller à la Présidence de la République Chargé de mission et vous le rappeliez, j’étais Directeur National de Campagne 1er Adjoint. Ma position ne peut être contraire à la politique menée par le Président du pays qui vient d’être confortablement élu par les Tchadiens. L’UNDR siège dans les instances du pays et ne peut qu’être solidaire avec elles. C’est la raison pour laquelle, je voudrais m’exprimer ici au nom de mon parti. Le Tchad est un pays souverain qui a beaucoup souffert; il est venu le moment où après le pansement des plaies; qu’il se mette à l’œuvre pour son développement économique et social mais aussi politique. Je l’ai déjà affirmé chez d’autres de vos confrères nationaux et à l’étranger; la République du Tchad ne doit en aucun cas être cloitré sur elle-même. Son ouverture à l’International est une nécessité vitale et le multilatéralisme dans la coopération avec d’autres Etats épris de paix et de justice doit être son cheval de bataille. Je ne vois donc pas pourquoi on se pose des questions si la République du Tchad cherche à fructifier ses rapports avec d’autres Etats que l’ancienne puissance coloniale. L’UNDR ne peut qu’encourager le Président Mahamat Idriss Déby Itno à chercher les voies et moyens pour positionner le Tchad sur le plan mondial dans la recherche et la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Il ne s’agit pas de tourner le dos à la France avec laquelle nous avons des liens séculaires. Il s’agit pour le Tchad en refondation, de ratisser large dans ses relations d’Etat à Etat avec d’autres contrées qui le respectent et qu’il respecte. Si comme vous le dites dans votre question, le Tchad se rapproche à grands pas de la Russie où est le problème ? la Russie (Ex Union Soviétique) n’a-t-elle pas formé des milliers de cadres supérieurs toutes disciplines confondues qui aujourd’hui, donnent le meilleur d’eux-mêmes pour le Tchad ? cela veut dire que ce n’est pas après l’éclatement des blocs idéologiques de 1990 que la République du Tchad a eu des relations diplomatiques fortes avec l’Ex Union Soviétique aujourd’hui la Fédération de Russie. Alors la position de mon parti est claire et cela se trouve inscrit dans son programme politique. La coopération internationale entre Etats indépendants doit être une coopération gagnant-gagnant; respectueuse de la dignité réciproque des pays; dépourvue de paternalisme politique ou économique. Si demain, les rapports entre le Tchad et la Russie doivent se consolider encore davantage c’est un bon challenge. Mais cela ne signifie pas que le pays mettra en berne ses autres relations avec d’autres pays comme les Etats-Unis, la France; l’Allemagne…bref le monde occidental et les Etats Africains. Je n’ai absolument pas peur que le Président Mahamat Idriss Déby Itno ait été reçu en début d’année par le Président Russe Vladimir Poutine ou qu’aujourd’hui, on nous annonce que les rapports Russo- Tchadiens se renforcent encore plus. Pour cela il apparait de bonne augure que le Ministre Russe des affaires étrangères ait été reçu le 05 juin dernier par le Chef de l’Etat. Par la suite ce qu’il a déclaré en conférence de presse avec son homologue tchadien Abderahman Koulamallah acquiert entièrement mon adhésion.
FT: Sur les réseaux sociaux, « la guerre » fait rage au sujet de l’élection de Mahamat Idriss Deby Itno. Votre parti est vivement critiqué voir attaqué à travers son président national Saleh Kebzabo. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
CT: Indignation. Ce que nous observons sur la toile est plus que de l’intolérance d’opinions… c’est la haine politique sortie tout droit du tréfonds des nostalgiques du tribalisme. L’aberration c’est que l’on colle au Président Kebzabo des épithètes des plus abjects… que ces haineux primaires aillent voir l’ours du premier du premier journal privé fondé par celui que l’on vilipende aujourd’hui, pour voir que le régionalisme et son corolaire le tribalisme, n’existent pas chez cet homme d’Etat expérimenté et cultivé. Disons que l’UNDR paie son indépendance politique parce que le Parti a choisi de ne pas jouer au va-t’en guerre suite à la mort tragique du Président Idriss Déby Itno (paix à son pâme) dont le régime n’était pourtant pas tendre avec l’UNDR. Ce n’est pas Saleh Kebzabo seul qui a décidé de soutenir la Transition au Tchad. C’est la super structure de l’UNDR qui a pris la décision de ne pas faire un saut dans l’inconnue en rejetant l’appel des militaires pour une période politique transitoire pour éviter l’éclatement d’une guerre civil. A cause de cette position totalement souveraine, I’UNDR et ses militants sont aujourd’hui vilipendés avec une violence sans pareille sur les réseaux sociaux. Les réflexes ethniques enfouis se sont réveillés brusquement et presque l’ensemble de la presse voue aux gémonies Saleh Kebzabo et son parti pour quel crime commis ? Dans tous les cas, la hiérarchie de l’UNDR ne se laissera pas démonter par ce déferlement de haine gratuite mais prépare sereinement les futures consultations électorales avec ses cellules de base implantées dans les 23 régions du Tchad. Ceux ou celles qui nous attaquent savent que l’UNDR a bien la capacité intellectuelle de riposter mot pour mot aux dérives sur les réseaux sociaux. Mais nous avons une autre éthique politique que cela de contribuer à déchirer entièrement le fragile tissu sociopolitique de notre pays. Voilà pourquoi vous ne lisez pas de diatribes de notre part pour clouer le bec aux détracteurs manipulés.
Quant au soutien de l’UNDR à la période de Transition qui vient de laisser place à l’ordre constitutionnel normal, le parti l’assume.
Entrevue réalisée par Abderamane Moussa Amadaye.