Malgré les multiples  potentialités agricoles dont disposent le Tchad dont 39 millions d’hectares de terres arables soit 5,6 millions d’hectares de terres irrigables, le pays de Toumai continue d’être durablement touché par une insécurité alimentaire chronique. En date du 15 février dernier par décret signé par le président de transition, un état d’urgence alimentaire et nutritionnel a été déclaré sur l’ensemble du territoire national afin de venir en aide aux populations identifiées en «phase de crise »et en « phase d’urgence ». La rédaction de Flashtchad.com a discuté avec un technicien agronome avec plusieurs années d’expériences. Il nous a fait analyse de la situation. Entrevue.

FT: Bonjour M. Manemon Mapouki, vous êtes Technicien-Agronome, actuellement Formateur en Création d’Entreprise Agropastorale et méthode de suivi selon la méthodologie GERME/SIYB/BIT dans la Province du Moyen Chari. En date du 15 février 2024, le gouvernement tchadien a déclaré une urgence alimentaire et nutritionnelle, en tant qu’agronome quelle analyse faites-vous de l’urgence Alimentaire et Nutritionne ?

MM: En tant que technicien Agronome et surtout dans ce pays, chaque jour nous sommes surpris et étonnés de déclarations émanant des hautes autorités. Vous vous souvenez en juin 2022, un décret similaire a été annoncé et je crois qu’un comité regroupant chaque département ministériel a été mis en place pour assurer le mécanisme de suivi et trouver des pistes de solutions pour la sortie de cette crise. Hélas, après 2 ans, ce même décret revient. Certes avec l’afflux des réfugiés à l’Est, le déficit pluviométrique variable d’une zone agroécologie, le conflit agriculteurs-eleveurs, peuvent prôner un souci. Mais il nous revient de se demander quelles ont été les mesures prises par ce comité de suivi  au  premier signal? Peuvent-ils justifier avec l’implantation récemment de certains projets ou programmes au pays ? Est-ce que ces derniers ont impacté positivement la vie du producteur tchadien? la réponse serait non.


FT: Est-ce que cet état d’urgence alimentaire et nutritionnelle est-il justifiable ?

MM: A mon avis, il n’y aucune justification à cet égard. A l’heure actuelle, aucun bilan de la campagne agricole 2022-2023 n’est connu. Il ne suffit pas de se baser sur les données mercuriales des commerçants véreux pour déclarer l’état d’urgence alimentaire et nutritionnelle. Aussi, il faut mener des enquêtes auprès de ménages dans l’ensemble du pays pour s’assurer de sa véracité. S’ajoute à cela, la mauvaise gestion de nos ressources financières à différent niveau, va toujours plonger ce beau pays dans la merde. Des détournements de deniers publics, l’achat des armes ou véhicules de guerre, la prolifération des promotions à des hauts gradés. Et tout cela sur le budget de l’Etat , rendant  agonisant le pays et nous ne cesserons  de faire appel aux partenaires financiers ou bailleurs de fonds pour  soutenir le pays .
Vous convenez avec moi du Lac en passant par Bongor-Laï, Doba, Sarh, les plaines d’Amtiman etc… , nous remarquons  des richesses  inestimables que Dieu nous a légué, alors, faut-il tendre la main pour demander de dons en aliments aux pays frères qui n’ont presque pas le 1/3 de ce que nous en avions ?

FT: Avez-vous des solutions à proposer

Les propositions de solutions de sortie de crise sont nombreuses mais c’est leur applicabilité qui cause ou causera problème.
Le Tchad est un pays d’opportunités, les facteurs de production (eau, terre et mains d’œuvre) sont assez suffisants pour combler ce déficit alimentaire. Il est donc impératif pour que notre pays investisse davantage dans l’agriculture (production et transformation) en impliquant les jeunes. Seulement pour attirer les jeunes à s’intéresser à ce domaine, il faudrait rendre cela sexy. Rendre l’agriculture sexy, c’est rendre attrayante, plus moderne et plus lucrative. Il faudrait intégrer dans l’agriculture des choses qui font rêver afin de renforcer la passion des jeunes et changer l’image de l’agriculture de subsistance. Un jeune qui a l’habitude de voir les producteurs pauvres, travailler péniblement à la main sans horaires de travail fixe, toujours délabrés etc…. ne peut avoir des difficultés à adhérer, à s’y investir.
Alors le Tchad a des moyens efficaces pour faire sortir du sous-développement et vaincre la faim et la malnutrition passe inéluctablement par des investissements dans l’agriculture avec une adhésion massive des jeunes à la cause. Je propose de mesures institutionnelles et opérationnelles afin d’atteindre l’objectif :
Sur le plan institutionnel :
Mise en place de politiques d’investissement et commerciales incitatives ;
Mise en place de reformes foncières afin de garantir l’accès facile à la terre pour les jeunes ;
Faciliter l’accès aux crédits et financement des jeunes ;
Investir davantage dans la recherche et formation ;
Investir davantage dans la création et l’entretien des infrastructures de stockage, de transport et énergétique ;
Faciliter l’accès aux intrants et aux machines agricoles etc…
Jouer l’impartialité dans la gestion des conflits agriculteurs-éleveurs dans l’ensemble du pays
Sur le plan opérationnel :
Intégrer les technologies innovantes qui permettent d’alléger la charge physique de travail ;
Valoriser les agriculteurs, proposer de salaires décents aux employés agricoles et la protection de terres agricoles ;
Promouvoir les autres secteurs d’activités de chaines de valeur agricole ;
Offrir des horaires de travail régulier ;
Promouvoir et valoriser les modèles qui ont réussi … ;
Pour finir, ne pas investir dans l’agriculture plongera le Tchad dans le sous-développement avec son corollaire l’urgence alimentaire et nutritionnelle.

Entrevue réalisée par Abderamane Moussa Amadaye

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