FT : Monsieur Mahamoud, bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview. L’Assemblée nationale de votre pays a procédé aujourd’hui à l’unanimité à la suppression de la limite d’âge présidentielle, permettant au président Ismaël Omar Guelleh de se présenter pour un sixième mandat. Comment réagissez-vous à cette nouvelle ?
MD : Bonjour, merci de m’avoir invité à votre chaîne. Oui, effectivement, c’est aujourd’hui, dimanche 26 octobre, qu’il y a eu un nouveau coup d’État constitutionnel à Djibouti. Ce n’est pas le premier. C’est le deuxième coup d’État constitutionnel que le président Guelleh réalise pour violer la Constitution du pays. Le premier, c’était en 2011, lorsqu’il a fait sauter la limitation à deux mandats présidentiels. Ironie du sort, c’est lui-même qui avait introduit à l’époque la limite d’âge à 75 ans pour barrer la route à deux leaders de l’opposition. Aujourd’hui, il a fait sauter le dernier verrou pour s’installer à vie au pouvoir.
FT : Le gouvernement djiboutien a récemment dissous le Fonds souverain de Djibouti (FSD), officiellement pour mauvaise performance. Selon vous, quelles sont les véritables raisons de cette décision et quelles en seront les conséquences ?
MD : La dissolution du FSD marque de façon indélébile la gestion mafieuse des affaires de Djibouti. Dès sa création, ce fonds soulevait déjà des interrogations sur son utilité et sa gouvernance. Les responsables qui s’y sont succédé étaient souvent impliqués dans des scandales, à l’image du dernier directeur, le Tunisien Slim Fériani, poursuivi par la justice de son pays pour détournement de fonds publics. Sa liquidation pose d’ailleurs une question fondamentale de légalité : comment un fonds créé par la loi peut-il être démantelé par simple décret présidentiel ?
Au-delà de cela, de lourds soupçons de détournements pèsent sur la famille présidentielle, notamment sur les filles du président et leurs époux.
FT : La démission d’Alexis Mohamed, conseiller spécial du président Guelleh, a suscité beaucoup de réactions. Que révèle ce départ sur les tensions internes au pouvoir ?
MD : Alexis Mohamed a eu une trajectoire politique ambiguë. Ancien opposant, il a rejoint le président Guelleh pour des raisons claniques, mais la greffe n’a jamais pris. Tout ce qu’il dénonce aujourd’hui existait déjà lorsqu’il a intégré le système. Certains estiment qu’il nourrissait un projet personnel pour se poser en opposant crédible lors des prochaines élections, une stratégie souvent utilisée par le président pour simuler la démocratie.
Mais son départ traduit une fracture au sein du clan au pouvoir. Plusieurs proches du régime ne veulent plus être associés aux dérives actuelles.
FT : Djibouti abrite plusieurs bases militaires étrangères américaines, françaises, chinoises, japonaises… Cette présence sert-elle les intérêts du peuple djiboutien ?
MD : Absolument pas. Ces bases servent exclusivement les intérêts des puissances étrangères. Les revenus de leur location sont directement gérés à la présidence. En réalité, Djibouti est aujourd’hui une prison à ciel ouvert, gardée par des soldats étrangers.
FT : Beaucoup d’observateurs dénoncent un recul démocratique, une presse muselée et une population frustrée. Comment décririez-vous la situation politique et sociale actuelle à Djibouti ?
MD : La situation est explosive. La jeunesse oscille entre résignation et révolte. Chaque jour, des jeunes sont arrêtés et emprisonnés pour avoir simplement exprimé une opinion sur les réseaux sociaux.
La Voix de Djibouti est aujourd’hui le seul média indépendant, avec un journal mensuel et une web radio. Nos reporters, qui travaillent dans la clandestinité, risquent arrestation et torture. À Djibouti, plus personne n’est à l’abri, même ceux qui travaillent pour le régime.
Entrevue réalisée par Abderamane Moussa Amadaye