Le Tchad ne reconnaît officiellement que deux langues de travail : le français et l’arabe. Elles sont les seules habilitées à être utilisées dans les services publics, sur toute l’étendue du territoire. C’est la loi, c’est la règle, et c’est le socle linguistique de notre administration.
Pourtant, une dérive silencieuse, sournoise, mais extrêmement dangereuse gagne du terrain, l’usage des dialectes locaux au sein même des bureaux de l’État. Une pratique illégale, contraire à l’éthique du service public, et surtout profondément attentatoire à l’unité nationale.
Il suffit que le chef de service et quelques agents soient originaires de la même province ou du même clan pour que le bureau prenne soudainement les couleurs linguistiques de leur région. Dans certains services, les réunions officielles se transforment en apartés murmurés dans un patois qui n’est ni national, ni officiel. Beaucoup n’osent pas dénoncer cette dérive, par peur d’être mis au banc, humiliés ou mal vus par leur hiérarchie.
La situation est encore plus alarmante dans certains commissariats, services déconcentrés ou administrations provinciales, où des premiers responsables privilégient leur langue maternelle, reléguant complètement les langues officielles. Ce comportement n’est pas anodin : il exclut, il discrimine, il mine le principe d’égalité, et il fragilise dangereusement la cohésion nationale.
J’en ai moi-même été témoin en 2023, lors d’une mission officielle. À notre arrivée, nous sommes allés présenter nos civilités au premier responsable administratif de la localité. À notre grande surprise, il ne maîtrisait aucune des nos deux langues officielles. Nous avons dû faire appel à un interprète.
Une scène surréaliste, indigne d’une administration moderne, et révélatrice du laisser-faire qui s’installe.
Soyons clairs : cette pratique n’est pas seulement inappropriée — elle est discriminatoire. Elle crée une administration à deux vitesses : d’un côté, ceux qui comprennent le dialecte du chef ;et de l’autre, ceux qui en sont exclus, marginalisés, parfois même humiliés.
C’est une entorse grave au principe d’égalité, un affaiblissement du service public et un sérieux frein à la cohésion nationale. L’administration ne doit jamais devenir un “club linguistique” réservé à une communauté.
En fin, retenez ceci : L’administration publique n’est ni un espace coutumier, ni un cercle ethnique, ni un terrain d’affirmation identitaire.
C’est un espace neutre, républicain, ouvert à tous, où la communication doit se faire dans les langues reconnues par la loi. À aucun moment un patois ne peut être imposé dans un service public car la neutralité linguistique n’est pas un détail : c’est un pilier de la justice administrative et de l’unité nationale.
Haroun Brahim Haroun