Il y a 107 ans, le 15 novembre 1917, Abéché, ancienne capitale du royaume du Ouaddaï, fut le théâtre d’une répression sanglante orchestrée par l’armée coloniale française, communément appelé, « le massacre des coupe-coupes ». Il reste l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire coloniale du Tchad, un génocide passé sous silence, mais dont les cicatrices demeurent vivaces.
Mahamat Youssouf Senoussi Ourada, directeur du Lycée Boustan Al-Arifine ( la plus ancienne institution éducative du pays, fondée sous le royaume en 1850 ) , brise aujourd’hui ce silence pesant. Descendant de la lignée royale du Ouaddaï, il rappelle que le 23 octobre 1917, le meurtre du maréchal des logis Guyader à Abéché déclencha une vague de violence d’une cruauté inouïe. Les autorités françaises, sous le commandement de Gérard, profitèrent de l’occasion pour écraser toute résistance présumée. L’attaque du 15 novembre, pendant la prière de l’aube, fut d’une brutalité sans précédent, plus de 400 oulémas furent exécutés, leurs têtes alignées en signe de terreur. Les dignitaires du quartier Chig-el-Fakara virent leurs maisons pillées, leurs familles déportées.« Ils ont décimé nos intellectuels, volé nos archives, brisé notre héritage culturel », dénonce Mahamat Youssouf avec émotion. Il exige aujourd’hui la restitution de ces archives, déportées en France. « Ce n’est pas un appel à la vengeance. C’est un cri pour la mémoire et la vérité. Nous voulons récupérer ce qui appartient au Tchad et au Dar Ouaddaï ».
Ce massacre a profondément bouleversé la région. Des villages se sont vidés, les intellectuels du Ouaddaï ont pris le chemin de l’exil vers le Soudan ou l’Égypte, et l’enseignement de l’arabe a été durablement affaibli. Plus qu’une répression militaire, il s’agissait d’un acte visant à effacer une culture, une identité, un peuple. Pendant 23 ans, l’armée coloniale française a interdit la prière dans les mosquées et suspendus le sultan a indique M. Mahamat Youssouf Senoussi Ourada.
Aujourd’hui, l’histoire de ce massacre reste largement méconnue, étouffée par les récits officiels de l’époque coloniale. Le commandant Gérard, instigateur de cette tragédie, n’a jamais été jugé. Il a simplement été mis à la retraite anticipée, un privilège en comparaison des centaines de vies brisées.
M.Ourada, en porte-voix d’une mémoire blessée, insiste sur l’importance de ce combat pour la vérité. « Oublier serait une trahison. Nous ne voulons pas ressasser le passé, mais lui rendre justice. Pour que nos enfants sachent. Pour que cela ne se reproduise jamais ».
L’ombre du massacre d’Abéché plane encore. L’histoire demande à être entendue.
Abderamane Moussa Amadaye, Abéché, Flashtchad.com