La récente déclaration publique du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, M. Gassim Chérif, appelant à envisager une possible adhésion du Tchad à l’Alliance des États du Sahel (AES), soulève de vives inquiétudes. Au-delà du fond du propos, c’est la démarche elle-même qui interroge. Sur un sujet aussi stratégique que l’orientation diplomatique de notre pays, une telle prise de position, exprimée publiquement sans consultation préalable, paraît en décalage avec la discipline que requiert la parole gouvernementale. Le porte-parole ne saurait en aucun cas adopter une posture personnelle dans des affaires engageant la souveraineté de l’État, encore moins lorsqu’il s’agit de choix d’alliance aux implications géopolitiques majeures.

Le Tchad occupe une position centrale dans l’échiquier africain. À la croisée de l’Afrique centrale, de l’Afrique de l’Ouest et de la zone saharo-sahélienne, notre pays constitue un acteur d’équilibre, reconnu pour sa capacité à dialoguer avec des partenaires divers, parfois antagonistes. Cette neutralité relative a toujours été un atout majeur dans notre diplomatie, et elle doit être préservée avec vigilance. S’inscrire dans une alliance à coloration militaire et de rupture, comme l’AES, reviendrait à fragiliser cette position d’arbitre, au risque d’altérer la perception du Tchad sur la scène régionale et internationale.

L’AES reste une entité en construction, portée par des régimes militaires confrontés à des défis internes lourds. Elle ne dispose à ce jour d’aucune architecture politique, économique ou militaire stabilisée. Envisager une adhésion dans ces conditions, alors même que le Tchad vient tout juste de sortir d’une transition politique, exposerait le pays à un saut vers l’inconnu. Une telle démarche pourrait être interprétée comme un alignement idéologique, aux conséquences potentiellement dommageables, notamment auprès de nos partenaires traditionnels tels que la France, les États-Unis, l’Union européenne, ou encore les pays du Golfe.

Il convient également de rappeler que la diplomatie tchadienne s’est toujours appuyée sur la diversification de ses partenariats, privilégiant la coopération ouverte à l’enfermement dans des blocs fermés. Cette ligne a permis de préserver notre souveraineté tout en renforçant notre rôle dans la lutte contre le terrorisme, domaine dans lequel le Tchad est reconnu pour son engagement et la qualité de ses forces. Toute décision susceptible de compromettre ce positionnement stratégique doit être pesée avec un maximum de prudence.
L’idée d’une appartenance régionale ne saurait suffire à justifier une telle adhésion. Il ne peut s’agir d’un réflexe sentimental ou symbolique, mais d’un choix rationnel, mûri à l’aune des intérêts supérieurs de la Nation. À cet égard, il serait opportun de rappeler aux membres du gouvernement, et en particulier à ceux qui s’expriment au nom de l’État, que la communication publique sur ces sujets doit s’inscrire strictement dans les orientations définies par la haute autorité de l’État.
Dans ce contexte, il est recommandé de ne pas engager le Tchad dans une dynamique qui pourrait altérer sa posture équilibrée, affaiblir ses alliances stratégiques et compromettre sa stabilité interne. Le Tchad a davantage à gagner en restant un acteur de dialogue, un trait d’union entre les régions et un partenaire fiable pour l’ensemble de la communauté internationale.

Mahamat Awaré Neissa, cadre de l’administration

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