
Plus de 400 réserves foncières de l’État ont été illégalement accaparées par des individus influents, a révélé le ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat, Mahamat Assileck Halata, lors d’une réunion avec le Comité interministériel chargé de la mise en œuvre des recommandations issues des travaux de recensement des réserves foncières, le 10 avril 2025.
Selon le ministre, cette occupation illégale résulte d’un système bien rodé, infiltré jusque dans les arcanes de l’administration, où des lobbies puissants et des complicités au sein même du ministère et de la justice faciliteraient ces accaparements. « On a recensé… plus de 400 réserves. Des gens se sont appropriés l’espace ou la faisabilité a été mise en œuvre de façon illicite …. Croyez-moi, il y a des lobbies très puissants, présents au sein même du ministère de l’Aménagement et de la justice (qui ne rassemblent pas l’ensemble des magistrats), et des personnes corrompues se trouvent partout dans l’administration », a-t-il affirmé.
Cette situation, fruit d’un laxisme étatique de longue date, asphyxie aujourd’hui N’Djamena, l’une des capitales africaines les plus pauvres en espaces publics. Jardins, terrains de sport, aires de jeux et réserves administratives. Tout disparaît au profit d’intérêts privés, réduisant à néant toute ambition de développement urbain durable.
L’urbaniste Ezechiel Bika-Yantelbé, président du Réseau des Urbanistes du Tchad, tire la sonnette d’alarme. « Il suffit de faire une lecture urbaine de la ville pour constater l’ampleur du désordre. Le manque d’équipements de base, d’espaces verts et de loisirs est criant. » Il s’interroge sur la soudaineté de l’engagement de l’État à récupérer ces terres, après des années d’inaction. Pour lui, toute solution doit passer par l’inventaire rigoureux des investissements réalisés par les occupants, suivie d’un recasement ou d’un remboursement. « Une évacuation brutale sans mesures d’atténuation ne fera qu’aggraver le problème », prévient-il.
Au-delà de N’Djamena, le phénomène touche également les provinces, où des agents véreux morcellent les réserves pour les revendre aux populations, avant de revenir les déguerpir, explique l’urbaniste. Une politique schizophrène aux conséquences sociales et économiques désastreuses.
Face à cette urbanisation anarchique, Bika-Yantelbé plaide pour l’intégration des réserves dans une nouvelle dynamique de planification, avec une vigilance accrue, une sensibilisation des citoyens, et surtout, une volonté politique ferme de rompre avec l’impunité.
Abderamane Moussa Amadaye