Dans une lettre ouverte adressée au Président de la République Mahamat Idriss Deby Itno ce mardi, 09 juin 2024, l’athlète Bibiro Ali Taher dénonce le non payement de ses primes, le mauvais traitement et réclame justice pourque ses dues soient verser. Suivez l’intégralité de sa lettre ouverte à la rédaction de Flashtchad.com.

Je me permets de vous écrire une lettre ouverte tout en espérant que cela atterrisse sur votre bureau et que vous ayez le temps de le lire. Je vis actuellement en France depuis longtemps et je continue ma carrière sportive de haut niveau pour représenter le Tchad partout dans le monde depuis 20 ans. Je suis fière de moi. J’ai participé à de multiples compétitions en Europe et à l’international, tant sur piste que sur route, ainsi qu’à 5 championnats d’Afrique sur 5000m avec les meilleurs athlètes du monde, notamment ceux du Kenya et de l’Éthiopie.
En 2016, j’ai été porte-drapeau du Tchad aux Jeux Olympiques de Rio où j’ai couru sur 5000m. Malheureusement, suite à une blessure au tendon j’étais contrainte d’arrêter ma course. Après mon opération fin novembre 2016, j’ai couru mon premier marathon en tant que première femme Tchadienne sur cette distance. Jusqu’à présent, ma carrière sportive continue sur les distances de 10 km, 21 km et 42 km. En mai 2024, j’ai battu mon propre record en établissant un nouveau record national du Tchad en 2h50’59 ». Je suis heureuse de briller avec fierté pour mon pays le Tchad.
Mes chers compatriotes, depuis des années, je paye tous les frais de déplacement et de préparation, que ce soit au Kenya, en Éthiopie, au Maroc ou en Europe, pour participer à des compétitions et battre mes records. Je finance cela avec mon propre argent. Je me lève à 6h du matin pour courir dans le noir, puis je vais travailler à 8h et je retourne courir à 20h. J’ai demandé une bourse olympique au Comité Olympique Tchadien et à la Fédération Tchadienne d’Athlétisme, mais je n’ai jamais obtenu de réponse, tandis que d’autres athlètes ont reçu des bourses. Pourquoi cette indifférence envers moi?
Mes adversaires ramènent des médailles pour leur nation et vivent uniquement du sport grâce à l’aide du gouvernement et du comité olympique, ce qui leur permet de s’entraîner dans les meilleures conditions et d’être performants en compétition.

Depuis ma première sélection internationale pour le Tchad en 2014, je paye tout de ma poche. Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, le président du Comité Olympique Tchadien, Idriss Dokony Adiker, a refusé de me rembourser mes frais, y compris les 3500€ de billet d’avion que j’avais payés moi-même. Je n’ai jamais été remboursée des frais de mission de 3589,90€ par athlète alloués par le gouvernement tchadien. Même pour les championnats d’Afrique, je n’ai reçu qu’une seule fois 290€ en 2016 pour acheter mon billet d’avion.

En 20 ans de représentation du Tchad en compétition, mes préparations et compétitions me coûtent environ 15,000€ par an, justifiés par factures. Je finance moi-même mes équipements et mes primes. Je décide de dire la vérité au monde. entier et à mon peuple tchadien ainsi qu’aux instances internationales sportives pour qu’elles prennent des mesures concernant ma souffrance et pour que les athlètes actuels et les générations futures ne subissent pas les mêmes injustices que moi. Le Comité Olympique Tchadien et la Fédération Tchadienne d’Athlétisme m’ont ignorée et ont refusé de me rembourser malgré mes relances.

Je veux obtenir justice pour ces années de souffrance et de sacrifices. Je suis écartée des sélections pour les compétitions internationales, y compris les Jeux Olympiques de Paris 2024, malgré mes performances et mes records nationaux. Je suis brisée humainement et sportivement par le Comité Olympique Tchadien et la Fédération Tchadienne d’Athlétisme, qui sélectionnent des athlètes sur des critères personnels et égoïstes. Quand je demande des explications, on me répond que je que je parle trop de mes droits sportifs en public. La liberté d’expression sur la souffrance des athlètes doit-elle rester cachée ?
Les athlètes tchadiens sont souvent écartés des compétitions par des choix personnels des responsables de la fédération et du comité olympique. Ils ignorent nos performances pour faire des affaires personnelles, au détriment des intérêts des athlètes et de la nation. Cela n’est pas acceptable humainement et sportivement. Je veux que mon pays, le Tchad, et mes compatriotes sachent la vérité sur mes souffrances et sur les injustices que je supporte depuis des années. Ces responsables sont en place depuis 20 ans et 12 ans dans l’athlétisme sans avoir réussi à ramener une seule médaille pour le Tchad aux niveaux africain et international. Depuis notre chère sœur Kaltouma Nadjina en 2011, aucune médaille n’a été remportée. Pourquoi?
Ces individus découragent les athlètes avec des menaces, des promesses mensongères et des humiliations publiques. Grâce à Dieu, je décide d’être forte mentalement et physiquement et de dire la vérité au monde de l’athlétisme et à mon pays, le Tchad, même si cela signifie être écartée des compétitions. Je ne peux pas laisser tomber et regarder ma souffrance et celle de mes frères et sœurs athlètes se détruire par ces individus malhonnêtes et inhumains qui tuent le sport et notre pays, le Tchad, humainement et sportivement. Souvent, je suis insultée et menacée pour dire la vérité. Aujourd’hui, je suis prête à affronter tout pour récupérer mes droits sportifs et le respect de mes frères et soeurs tchadiens dans mon magnifique pays et mon sport, l’athlétisme, qui est une valeur sûre malgré les difficultés. Reconnaître les obstacles sur mon parcours sportif, c’est relever les défis dans chaque situation.

Premièrement, j’irai jusqu’au bout de mon engagement pour mes droits sportifs, que je réclame depuis des années et des mois, toujours ignorée par le président Dokony Idriss Adiker et son équipe. Ils ne respectent pas la valeur humaine et sportive des athlètes tchadiens, ni leur talent sportif et leurs compétences professionnelles, quils soient femmes ou hommes. Je ne laisserai pas ces individus me priver de mes propres droits sportifs, tuer la vie des athlètes tchadiens, et ternir l’image de mon pays dans le sport. Ces inhumains, ingrats, profiteurs, hypocrites et malhonnêtes ne représentent ni les valeurs sportives ni les valeurs humaines, et ce n’est pas pour le bien de notre pays, le Tchad. Stop.

Deuxièmement, nous sommes en 2024. Comment peut-on laisser diriger la vie des athlètes d’un peuple par ce genre d’individus malhonnêtes qui ont détruit le sport tchadien et ma vie d’athlète? Ces athlètes qui honorent leur peuple partout dans le monde, avec des années d’entraînement et des dépenses financières de leur propre argent, travaillent dans des conditions difficiles en Europe pour représenter le pays par amour pour le Tchad et pour leur passion du sport. La santé et le bien-être avant tout, la liberté d’expression, la liberté de la femme, la paix et la justice pour les victimes de maltraitance, les souffrances des maladies graves, les manques de moyens et de soutiens – certains sont ignorés totalement en 2024.

Troisièmement, comment ces individus peuvent-ils penser vivre tranquillement en regardant les entraînements et les publications de ces athlètes en souffrance, certains courant pieds nus sur des pistes avec des trous partout, sans équipement ni accompagnement pour leurs déplacements sportifs, sans même une bouteille d’eau à boire, certains bloqués dans les aéroports à cause de ces individus privilégiant leurs droits sportifs sans se remettre en question? Ils profitent de l’argent de ces personnes, regardent leurs publications sur les réseaux sociaux comme une série Netflix, et en aucun moment, ils n’ont envoyé d’argent sur mon compte bancaire. Pendant ce temps, ils voyagent en classe affaires avec Wi-Fi et repas servis, tandis que l’athlète souffre en silence, avec une double vie sportive et professionnelle, se levant chaque jour à 6h du matin pour s’entraîner et travailler pour payer ses factures à la fin du mois. Combien de temps encore ces individus vont-ils rester au pouvoir pour détruire la vie des athlètes actuels et des nouvelles générations à venir? Devons-nous laisser ces gens diriger des fédérations ou des comités olympiques tchadiens en 2024 encore?

La souffrance, personne ne mérite d’être privé de ses droits sportifs et de subir toutes ces injustices, humainement et professionnellement. Nous, les athlètes, sommes indispensables. Sans nous, ces dirigeants n’existeraient même pas. Ils représentent une association sportive mais oublient la vraie raison de leur travail. Leur cerveau ne connaît que leur intérêt personnel, hélas, mais sans les athlètes, il n’y a pas de travail, pas d’argent pour acheter leur villa, construire des sociétés privées, acheter de grosses voitures et voyager en classe affaires avec un iPhone 15, pendant que nous, les athlètes, nous souffrons pour manger. Comment peut-on oublier cela ?

Il est triste pour le pays et pour les sportifs de ne pas voir des dirigeants exemplaires, honnêtes et sincères, professionnels et sportifs, qui soutiennent les sportifs dans tous les événements pour un meilleur avenir commun pour le Tchad. Prenez exemple sur M. Abakar Djarma, ministre de la Jeunesse et des Sports. Les sportifs ne doivent pas être abandonnés lorsqu’ils sont blessés, ni laissés tomber lorsqu’ils sont malades. Nous sommes des humains, pas des robots. Mais bien sûr, quand ces sportifs se relèvent et que les performances et les podiums sont là, bizarrement, eux aussi sont là dans les compétitions sans faire le travail, sportivement, professionnellement et financièrement envers les athlètes. Pourtant, tous les mois, ils touchent un salaire. Combien de temps cela va-t-il encore durer?

Je vous prépare énormément de choses avec des preuves, des messages, des témoignages d’athlètes, des échanges de mails avec ces individus, des factures de dépenses sur les compétitions au nom du Comité Olympique Tchadien et de la Fédération Tchadienne d’Athlétisme. Tous les justificatifs sont là. La vérité ne tue pas, même si c’est dur à entendre pour ces individus. Moi, je dors avec des larmes aux yeux chaque jour, car ces injustices sont invivables, sportivement et humainement. Je suis triste. Je suis un enfant de deux humains, et je subis depuis des années des injustices pour représenter mon pays de naissance, celui de mes parents. C’est ça, le respect, la tolérance et la reconnaissance d’une carrière sportive humainement et sportivement? Au moment même où j’écris cette lettre, je pleure de tristesse, de souffrance, de trahison et d’incompréhension totale, sportivement et humainement. Comment mon pays, le Tchad, et mon peuple peuvent-ils laisser cette souffrance rester silencieuse? Une femme crie des souffrances et des injustices, ses propres droits sportifs lui sont privés, et on ferme les yeux en laissant encore ces individus toucher des salaires au nom du Tchad dans les services publics tchadiens. JO 2024. Je suis marathonienne tchadienne, non sélectionnée. Je cours après mes droits sportifs, mon portrait d’athlète tchadienne est avec tous les médias en France et au Tchad.

Une athlète dont le courage s’exprime au-delà de la performance sportive. Je suis tchadienne et je suis privée de participation au marathon des JO de Paris 2024, mais je mène en parallèle un combat contre le Comité Olympique Tchadien. Ce dernier ne m’a pas versé plusieurs dizaines de milliers d’euros de primes et de défraiements de 2014 à 2024. Un conflit moralement éprouvant et qui me pénalise dans une année olympique sportive décisive à domicile, ici en France.

En 10 ans de haut niveau, je vous assure ne jamais avoir perçu ces primes sportives ni le remboursement de ces frais, soit un total que j’estime à 70 000 euros avec les factures justifiables. Au-delà des enjeux financiers, j’affirme mener ce combat pour la reconnaissance du droit des femmes et des hommes dans mon pays, le Tchad. Je veux que les sportives tchadiennes soient respectées dans leurs droits et qu’elles soient traitées comme tous les athlètes internationaux dans le monde. Nous sommes humains avant tout et le sport, c’est mental: si la tête va mal, il n’y a pas de performance. J’espère obtenir justice pour retrouver de la sérénité. Le Comité Olympique Tchadien et la Fédération Tchadienne d’Athlétisme doivent expliquer publiquement pourquoi je suis privée de mes droits sportifs et pourquoi je ne suis pas sélectionnée pour Paris 2024.

En attendant, je poursuis mon chemin avec l’objectif de passer sous la barre de 2 heures 40 minutes et de participer d’ici quelques mois et années aux 6 plus grands marathons du monde: Berlin, Boston, Chicago, Londres, New York et Tokyo. Un objectif et défi unique avec les coureuses professionnelles, les meilleures athlètes du monde.

Monsieur le Président, je vous demande de bien vouloir prendre en considération ma situation et celle de nombreux autres athlètes tchadiens qui souffrent en silence. Nous aimons notre pays et nous voulons continuer à le représenter avec fierté. Je vous remercie de votre attention et de votre soutien.

Bibiro Ali Taher, marathonienne professionnelle tchadienne.

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